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Daniel : une lumière à Babylone

Matthieu 28.1 : la résurrection « après le sabbat »

24 Janvier 2018 , Rédigé par Misha Publié dans #Textes commentés

(Article d’intérêt majoritairement exégétique, mais pas que…)

Après le sabbat, à l'aube du dimanche, Marie de Magdala et l'autre Marie allèrent voir le tombeau. (Segond 21)

Après le sabbat, à l'aube du premier jour de la semaine… (Segond 1910, Colombe et Ostervald)

Après le sabbat, au commencement du premier jour de la semaine… (TOB)

Après le sabbat, le dimanche, au lever du jour… (PDV)

 

Texte original : Ὀψὲ δὲ σαββάτων τῇ ἐπιφωσκούσῃ εἰς μίαν σαββάτων

À première vue, il ne devrait pas y avoir de variante textuelle majeure entre les manuscrits pour ce début de verset car les différentes éditions du texte grec sont parfaitement concordantes.

 

τῇ ἐπιφωσκούσῃ : au moment où le jour va luire

Ce verset introduit le récit spectaculaire de la résurrection du Christ, traditionnellement située à l’aube du « dimanche » matin (rappelons que la notion de dimanche est un anachronisme dans ce contexte historique). Cependant, pour certains croyants, les choses ne sont pas si claires, si j’ose dire, et Darby, réputé pour son littéralisme, a traduit :

Or, sur le tard, le jour du sabbat, au crépuscule du premier jour de la semaine… (Darby)

Aube ou crépuscule ? Dimanche matin ou samedi soir ? Le texte original donne pour indication temporelle, au datif, le terme τῇ ἐπιφωσκούσῃ, traduit le plus souvent par à l’aube. Il s’agit d’un participe présent utilisé comme substantif du verbe ἐπιφώσκω ou ἐπιφαύκω, qui signifie commencer à luire, se lever et qui est une forme de ἐπιφαύω, qui signifie briller sur, c’est-à-dire éclairer (la préposition ἐπι, en composition, signifiant en vue de, à cause de). Nous penchons donc nettement pour un moment situé à l’aube du dimanche, plutôt qu’au crépuscule du samedi, pour cette résurrection.

 

Ὀψὲ δὲ σαββάτων : or, longtemps après par rapport aux « sabbats »

En privilégiant le crépuscule, Darby semble être resté bloqué sur le premier mot le phrase, Ὀψὲ, un adverbe qui peut être traduit par (selon le contexte) : trop tard, longtemps après, enfin, tard dans la journée, le soir, vers le soir.

Ὀψὲ : adv. Trop tard, longtemps après, enfin, tard dans la journée, le soir, vers le soir (Dictionnaire Alexandre, 11e édition, 1850, p. 1025).

Mais tard par rapport à quoi ? Si c’est tard par rapport à la journée du sabbat hebdomadaire, on peut c’est vrai penser au samedi soir.

Cependant le marqueur temporel au datif, qui suit, τῇ ἐπιφωσκούσῃ, au moment où cela commence à luire, semble bien exclure cette hypothèse et désigner sans ambiguïté l’aube, à moins d’adopter une interprétation symboliste, « spirituelle », où le soleil levant serait le Christ sortant de son tombeau, mais cela paraît également forcer le texte et son contexte. Nous proposerons une meilleure « lecture spirituelle » plus bas.

Le littéralisme de Darby l’a donc un peu desservi ici en le conduisant à traduire la deuxième portion de la phrase : au crépuscule du premier jour de la semaine. De même, la première partie de la phrase, Or, sur le tard, le jour du sabbat, n’est pas une traduction très littérale de Ὀψὲ δὲ σαββάτων et elle est même contestable car le jour du sabbat est ici présenté comme le moment précis où se déroule l’action, alors que σαββάτων est au génitif (comme souvent après Ὀψὲ) et non au datif comme le voudrait cette traduction. Décliné au génitif, σαββάτων est ici un repère par rapport auquel on détermine le moment de l’action et non le moment de l’action lui-même : tard par rapport au(x) sabbat(s).

Ὀψὲ δὲ σαββάτων pourrait être correctement traduit par longtemps après le sabbat, ce qui serait cohérent avec la deuxième moitié de la phrase τῇ ἐπιφωσκούσῃ εἰς μίαν σαββάτων, à l’aube du premier jour de la semaine. Le sabbat se terminant la veille, le samedi, au coucher du soleil, le dimanche matin arrive longtemps après, effectivement, du moins dans le cadre de ce récit.

La version Martin, qui semble comme Darby situer la résurrection à la fin du sabbat, et non au début du premier jour de la semaine, essaye de concilier la fin du sabbat et l’aube du premier jour par une formule quelque peu alambiquée :

Or au soir du Sabbat, au jour qui devait luire pour le premier de la semaine, Marie-Madeleine, et l'autre Marie vinrent voir le sépulcre. (Martin)

La formulation qui devait luire est habile mais elle introduit une notion de « futur antérieur » que le participe présent actif ἐπιφωσκούσῃ ne suggère nullement grammaticalement. De plus, sémantiquement, ἐπιφωσκούσῃ ne désigne pas le jour qui va luire, mais l’action de luire elle-même. Et le datif indique que nous sommes bien à ce moment-là où le jour va commencer à luire, à poindre, et non dans un passé, même proche. Nous sommes bien dimanche matin et non samedi soir.

On observe que Martin a traduit Ὀψὲ par le soir. Cependant, pour que la phrase soit cohérente, il aurait été préférable de privilégier les autres sens de Ὀψὲ, tard, après, enfin, comme l’a fait la traduction King James :

In the end of the sabbath, as it began to dawn toward the first day of the week, came Mary Magdalene… King James

Cependant, avec cette dernière traduction, un problème demeure car la fin du sabbat (the end of the sabbath) est bien le samedi soir au coucher du soleil et non à l’aube du dimanche. Il nous faut donc creuser un peu plus cette question du sabbat.

 

σαββάτων : Sabbat ou sabbats ?

L’analyse ci-dessus a fait apparaître un phénomène intéressant sur le plan linguistique : le mot traduit par semaine dans la deuxième moitié de la phrase est exactement le même que celui traduit par sabbat dans la première moitié de la phrase : σάββατον.

Ὀψὲ δὲ σαββάτων τῇ ἐπιφωσκούσῃ εἰς μίαν σαββάτων (Matthieu 28.1)

Dans les deux cas, σάββατον est accordé et décliné au génitif pluriel, sans article défini. D’où la tentation d’essayer de le traduire de la même façon dans les deux propositions, ce que nous expérimenterons à la fin de cet article (patience !).

La question de l’article défini ne semble pas déterminante ici puisque, dans les passages synoptiques et parallèles, l’article est tantôt utilisé, tantôt omis, sans ce que cela paraisse affecter le sens de la phrase. Nous le vérifierons plus bas.

Dans la deuxième moitié de la phrase, τῇ ἐπιφωσκούσῃ εἰς μίαν σαββάτων, les traducteurs ont visiblement compris μίαν σαββάτων, mot à mot le un des sabbats, où le un par rapport aux sabbats comme désignant le numéro un des jours de la semaine, qui n’est pas un jour de repos dans la Bible. Bien que cela puisse surprendre ou dérouter le lecteur novice, cette traduction est parfaitement justifiée au vu des usages semblables qui sont faits du mot σάββατον dans le reste du NT et à l’usage du mot shabbat (שַׁבָּת) dans l’AT. Mais avant d’élargir notre recherche pour le vérifier, revenons sur le récit de la résurrection et examinons les passages parallèles à Matthieu 28.1.

 Les passages synoptiques et parallèles concernant la résurrection

Marc 16.2 : Et de fort grand matin (λίαν πρωῒ), le premier jour de la semaine (τῇ μιᾷ τῶν σαββάτων), elles viennent au sépulcre, comme le soleil se levait (Darby).

Luc 24.1 : Or le premier jour de la semaine (τῇ μιᾷ τῶν σαββάτων), de très-grand matin (ὄρθρου βαθέως), elles vinrent au sépulcre (Darby).

Marc et Luc utilisent des expressions différentes pour préciser les circonstances de la résurrection. Cependant les deux expressions, λίαν πρωῒ (très tôt), et ὄρθρου βαθέως (de grand matin), indiquent sans ambiguïté le matin plutôt que le soir. Lexpression employée par Marc et Luc pour situer la résurrection dans la semaine (τῇ μιᾷ τῶν σαββάτων) est semblable à celle employée par Matthieu mais avec lajout darticles définis.

Jean utilise une expression proche de Marc pour dire qu’il était tôt (πρωῒ) et précise qu’il faisait encore noir (σκοτίας, qui signifie aussi ténèbres) :

Jean 20.1 : Le premier jour de la semaine (Τῇ μιᾷ τῶν σαββάτων), Marie de Magdala se rend (ἔρχεται*) au sépulcre dès le matin (πρωῒ), alors qu’il fait encore obscur (σκοτίας ἔτι οὔσης).

* au présent de l’indicatif et non au passé comme dans beaucoup de traductions !

La King James, ici très proche de l’original, porte :

The first day of the week cometh Mary Magdalene early, when it was yet dark.

Il fait noir. Le soleil ne s’est pas encore levé en ce dimanche matin : d’où le εἰς (vers) devant μίαν σαββάτων dans notre texte (Matthieu 28.1) : nous allons vers l’aube et nous allons vers (εἰς) ce premier des « sabbats » ou cette première semaine qui suit la Passion, mais, d’un point de vue astronomique, nous n’y sommes pas encore tout à fait puisque l’astre du jour n’a pas encore lui.

En revanche, d’un point de vue calendaire, nous sommes bien au premier jour de la semaine (ou des sabbats) puisque le premier jour de la semaine est considéré comme ayant débuté dès lors que le sabbat est fini, le samedi soir, d’où le datif utilisé par Jean : Τῇ μιᾷ τῶν σαββάτων : au premier ou au numéro un des sabbats ou de la semaine.

Dans la pensée hébraïque, en effet, le sabbat est le jour par rapport auquel (d’où le génitif σαββάτων) tous les autres jours sont déterminés et situés. C’est le sabbat qui définit et détermine la semaine. Le récit de la Création en six jours de 24 heures est donc fondateur, pour la Bible. Et pour nous ??

Il semble que Jésus ait tenu à ressusciter avant le lever du soleil afin d’éviter toute confusion panthéiste. Puisqu’il a laissé l’humanité déchue dans le tombeau pour toujours (Romains 6.6 ; 2 Corinthiens 5.14), il ouvre, en ressuscitant, la première semaine d’une humanité nouvelle, appelée à s’affranchir des forces de la nature, de la « chair », pour participer à la nature divine (2 Pierre 1.4), comme le Fils. Une humanité fille du second Adam et non plus du premier Adam (Romains 5.14-18 ; cf. 1 Corinthiens 15.45). Voilà « l’interprétation spirituelle » que nous vous promettions plus haut.

 

L’apparition de Jésus à ses disciples

Un peu plus loin, toujours dans le chapitre 20 de l’évangile de Jean, l’apôtre précise quand a eu lieu, ensuite, dans la même journée, la première apparition de Jésus à ses disciples. Cette fois, nous sommes bien le soir :

Jean 20.19 : Étant donc le soir de ce jour-là (Οὔσης οὖν ὀψίας τῇ ἡμέρᾳ ἐκείνῃ), le premier de la semaine (τῇ μιᾷ σαββάτων)…

Ce verset est remarquable parce que, d’un point de vue linguistique, il nous livre toutes les clés exégétiques pour bien traduire Matthieu 28.1. La question de l’importance de la présence ou non d’articles définis dans μιᾷ σαββάτων est réglée. La notion de jour, clairement identifiée par le substantif ἡμέρᾳ (au datif), se distingue bien de la notion de semaine (σαββάτων). On ne peut guère hésiter sur la traduction de σαββάτων ici !

Dans la première proposition, l’adjectif ὄψιος, tardif, qui se fait tard, et par analogie du soir, qui se fait le soir, est décliné ici au génitif, comme un complément de nom. Il précise les circonstances dans lesquelles l’action va se dérouler, tandis que le reste de la proposition, entièrement au datif, précise le moment. Ce jour-là (τῇ ἡμέρᾳ ἐκείνῃ) fait référence aux événements décrits dans les versets précédents et οὖν, donc, alors, fait le lien avec le verset précédent : Marie de Magdala alla annoncer aux disciples qu'elle avait vu le Seigneur, et qu'il lui avait dit ces choses. (Jean 20.18). C’est donc bien le même jour que Jésus est ressuscité et qu’il est apparu à ses disciples, le premier (τῇ μιᾷ) jour de la semaine hébraïque, soit notre dimanche actuel.

L’évangile de Marc confirme que Jésus est apparu à ses disciples le jour même de sa résurrection et il utilise à cette occasion une variante orthographique « singulière » concernant le « sabbat-semaine », mis ici au singulier :

Marc 16.9 : Jésus, étant ressuscité le matin (πρωῒ) du premier jour de la semaineρώτῃ σαββάτου), apparut d'abord (πρῶτον) à Marie de Magdala

Marc 16.2 (voir ci-dessus) parlait du un des sabbats ou du un par rapport aux sabbats (τῇ μιᾷ τῶν σαββάτων). Le même auteur quelques versets plus bas parle du premier du sabbatρώτῃ σαββάτου), soit du premier par rapport au sabbat. Il apparaît donc que le même auteur, dans le même chapitre, utilise indifféremment le mot σάββατον au singulier ou au pluriel pour se repérer dans la semaine. La possibilité, dans Matthieu 28.1, de comprendre μίαν σαββάτων comme se référant à plusieurs jours de sabbat s’amenuise sérieusement !

Il ne fait guère de doute que, pour Marc comme pour tous les autres auteurs bibliques, le sabbat et la semaine sont indissociablement associés, si vous nous permettez cette redondance, et que toute la semaine s’organise et se structure par rapport au jour du sabbat. La déclinaison de σάββατον au même cas, le génitif, dans les deux versets, Marc 16.2 et 9, confirme le rapprochement que l’on peut faire entre les deux passages et légitime parfaitement la traduction « premier jour de la semaine », par rapport au sabbat, donc notre dimanche actuel.

Nous constatons alors que, dans ce mode de pensée sémitique, la distinction entre pluriel (σαββάτων) et singulier (σαββάτου) n’a pas forcément le même sens ni la même portée que dans une approche analytique occidentale, dissociative. Dès lors que rien dans le contexte n’indique qu’il y a plusieurs sabbats et que le singulier est employé comme le pluriel, nous devons en conclure que singulier et pluriel sont équivalents ici. D’autant qu’il existe, en hébreu, nombre de mots qui s’écrivent au pluriel* pour désigner une réalité globale, et non la multiplication du même élément comme ce serait le cas dans une approche mathématique, à laquelle le contexte ne nous invite pas.

* Par exemple מָ֫יִם, l’eau, toujours employé au pluriel en hébreu, alors qu’une forme au singulier existe dans certaines langues du Moyen-Orient ancien.

Comparez ce premier jour de la semaineρώτῃ σαββάτου) de Marc 16.9 avec ce que dit le pharisien de la célèbre parabole de Jésus dans Luc 18.12 : je jeûne deux fois par semaine (δὶς τοῦ σαββάτου), où σάββατον est également au singulier. Personne encore ne s’est aventuré à prétendre que le pharisien jeûnait deux fois par sabbat, le jeûne étant toujours désigné comme un jour entier…

Enfin notons que la présence majoritaire du pluriel (σαββάτων) dans les passages examinés nous empêche de faire l’erreur de traduire ici, en Marc 16.9, πρώτῃ σαββάτου par « au commencement du sabbat », ce qui situerait la résurrection du Christ un vendredi soir. Cette traduction reste possible, hors contexte, isolément, car « au commencement » fait bien partie du champ sémantique de πρῶτος, mais elle n’est pas probable dans ce contexte évangélique.

 

Dans l’Ancien Testament, la racine hébraïque d’où provient le mot σάββατον, shabat (שָׁבַת), signifie bien cesser, arrêter, se reposer (Genèse 2.2-3 ; 8.22). Cependant le substantif shabbat (שַׁבָּת), par analogie et par association, peut désigner la semaine entière (voir Lévitique 23.15), comme le mot חֹ֫דֶשׁ, nouvelle lune, peut désigner aussi le mois entier (voir Ézéchiel 46.3). Dans Lévitique 25.6, le mot shabbat sert même à désigner le fruit de la terre pendant toute l’année sabbatique. Ô génie pas toujours bien compris de la pensée synthétique hébraïque ! Enfin le fameux passage de Lévitique 25.8, en parlant du jubilé, tous les 49 ans, associe de façon remarquable les notions de jour, sabbat, semaine (par le biais du chiffre 7) et année :

Lévitique 25.8, version interlinéaire (en anglais)

Cette association étroite qui existe entre le sabbat hebdomadaire et la semaine, entre le travail et le repos, entre les jours et les années, idiomatique de la pensée hébraïque, se rencontre plus d’une fois dans la Bible. Cependant, dans le Nouveau Testament comme dans l’Ancien, associer ne veut pas dire fusionner, encore moins rendre confus, comme à la tour de Babel. Non, la lumière vient de la distinction, distinction entre la lumière et les ténèbres, entre le jour et la nuit, entre les jours fériés (qui portent un nom) et les jours ordinaires (anonymes), entre le sabbat hebdomadaire, jour anniversaire de la création du monde, et les six autres jours de la semaine. Il faut garder à l’esprit que la semaine de sept jours rythme notre vie et organise notre travail, depuis la Création du monde.

 Revenons maintenant au Nouveau Testament avec d’autres usages du mot σάββατον.

Luc 4.16 : Il se rendit à Nazareth, où il avait été élevé, et, selon sa coutume, il entra dans la synagogue le jour du sabbat (ἐν τῇ ἡμέρᾳ τῶν σαββάτων). Il se leva pour faire la lecture.

Personne ne songerait ici à traduire σαββάτων autrement que par sabbat ! Pourtant σαββάτων est bien ici au pluriel : le jour des sabbats ou le jour des semaines, c’est-à-dire le jour de référence absolu de la semaine de sept jours. Remarquons les différences qui existent entre l’expression employée par Luc ici (ἐν τῇ ἡμέρᾳ τῶν σαββάτων) et les expressions employées par Marc et Jean (τῇ μιᾷ τῶν σαββάτων et τῇ μιᾷ σαββάτων). Chez Marc et Jean le moment de l’action est indiqué par le datif de l’adjectif numéral εἷς, un, au féminin singulier, τῇ μιᾷ, au un, au premier, le féminin renvoyant à ἡμέρα, jour, invariablement féminin en grec. L’accent temporel est donc mis sur ce un ou premier. Mais ici, dans Luc 4, l’accent est mis sur le jour lui-même τῇ ἡμέρᾳ, ce jour, redoublé par l’ajout de la préposition ἐν, dans. L’action se passe bien dans un jour de la semaine particulier, un jour où l’on se rend à la synagogue, le jour du sabbat hebdomadaire. Au contraire, dans Matthieu 28.1, il n’y a pas de référence directe au jour du sabbat hebdomadaire, l’accent temporel est mis seulement sur le un, donc sur la position du jour concerné dans la semaine.

Actes 13.14 : De Perge, ils poursuivirent leur route, et arrivèrent à Antioche de Pisidie. Étant entrés dans la synagogue le jour du sabbat (τῇ ἡμέρᾳ τῶν σαββάτων), ils s'assirent.

Comme dans le cas précédent (c’est le même auteur), le mot jour est désigné comme le moment de l’action, au moyen du datif (τῇ ἡμέρᾳ), les sabbats (τῶν σαββάτων) n’étant que le complément de nom. S’il faut préciser le jour (du sabbat) c’est justement parce qu’en l’absence de cette précision, le mot sabbat, surtout au pluriel (σαββάτων), pourrait signifier semaine, comme dans le passage qui nous intéresse et pour les raisons propres à cette culture, raisons que nous avons déjà évoquées plus haut.

En revanche dans Actes 17.2, quand Luc précise que Paul enseigne à la synagogue pendant trois sabbats consécutifs, σάββατον est à l’accusatif, et non au génitif comme dans les passages qui nous intéressent :

Paul y entra, selon sa coutume. Pendant trois sabbats (ἐπὶ σάββατα τρία), il discuta avec eux, d'après les Écritures. Actes 17.2 (la préposition ἐπὶ suivie de l’accusatif a le sens de : sur, à travers, en touchant à, auprès ; elle marque un point d’attache ou d’aboutissement ; elle peut indiquer aussi une direction).

Dans Actes 17.2, c’est clair, il y a plusieurs sabbats, trois (τρία, accusatif). Dans Matthieu 28.1, c’est différent : on parle du numéro un (μίαν, accusatif) des sabbats (τῶν σαββάτων, génitif). Ces « sabbats » ne sont pas dénombrés. Il n’y a pas ici plusieurs sabbats, mais bien une seule semaine.

 

Qu’en est-il du grand jour mentionné dans Jean 19.31 et Jean 7.37 ?

Jean 7.37 : Le dernier jour, le grand (μεγάλη) jour de la fête, Jésus, se tenant debout, s'écria : Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi, et qu'il boive. (Segond 1910)

Nous sommes ici à la fête des tabernacles, qui durait une semaine, semaine qui commence à une date fixe et qui ne coïncide pas forcément avec la semaine de la création.

Jean 19.31 : Dans la crainte que les corps ne restassent sur la croix pendant le sabbat (ἐν τῷ σαββάτῳ) — car c'était la préparation, et ce jour de sabbat (ἡ ἡμέρα ἐκείνου τοῦ σαββάτου) était un grand (μεγάλη) jour —, les Juifs demandèrent à Pilate qu'on rompît les jambes aux crucifiés, et qu'on les enlevât. (Segond 1910)

Nous sommes ici à la fête des pains sans levains, qui durait une semaine, semaine qui commence à une date fixe et qui ne coïncide pas forcément avec la semaine de la création.

Notons tout d’abord que, dans Jean 19.31, ἐν τῷ σαββάτῳ, pendant le sabbat, est à rapprocher de Luc 4.16 : ἐν τῇ ἡμέρᾳ τῶν σαββάτων, pendant le jour du sabbat (à la synagogue). Dans les deux cas, l’action est clairement située au sein du jour du sabbat hebdomadaire, par le datif et par la préposition ἐν, contrairement à Matthieu 28.1 qui situe l’action à l’aube (τῇ ἐπιφωσκούσῃ) et par rapport aux « sabbats » (εἰς μίαν σαββάτων)

Ces deux textes de Jean nous apprennent que plusieurs types de jours peuvent être qualifiés de grands. Le grand jour de la fête (Jean 7.37), pendant lequel Jésus lance le poignant appel de l’amour inconditionnel divin, n’est pas forcément un sabbat hebdomadaire. Il n’en est pas de même du sabbat qui suit la crucifixion, également qualifié de grand (Jean 19.31) sans doute parce qu’il tombe dans la semaine de la fête des pains sans levain.

Il faut dire aussi que, du point de vue de l’apôtre Jean, cette semaine-là n’est pas comme les autres : Christ, le Messie annoncé dans le livre de Daniel, s’y qualifie en tant que victime et représentant parfait de l’humanité, à la fois dans le péché (Luc 22.37 ; 2 Corinthiens 5.21) et dans la justice, pour devenir le Grand-Prêtre de l’humanité, aperçu par Daniel (chapitre 10). Le jour du sabbat hebdomadaire est « grand », qu’il soit inclus dans la fête des pains sans levain ou non, parce que Celui qui nous convoque ce jour-là, Jéhovah-Jésus, le Créateur, est grand. Personne, qu’il soit juif ou non, ne devrait rater cette convocation-là !

Cependant le mot μεγάλη est employé indifféremment pour qualifier de grand le dernier jour de la fête des tabernacles et le jour du sabbat suivant la crucifixion. Or μεγάλη est le féminin de μέγας :

Μέγας : grand, dans tous les sens, et, par extension, gros, vaste, haut, fort, puissant , important. Dictionnaire Alexandre, 11e édition, 1850, p. 883.

Μέγας est ici au féminin pour s’accorder avec ἡμέρα, jour, qui est féminin en grec. Jour est un mot féminin dans une culture qui divinise les forces de la nature. Dans cette culture, le jour porte la vie et donne naissance à la vie en quelque sorte. Au contraire, dans la culture hébraïque, le mot jour (יֹום) est invariablement masculin, car, dans la Bible, le jour, comme la vie, procède de la parole seule, indépendamment des forces de la nature et de la sexualité, indépendamment de toute évolution naturelle…

Cependant la définition de μέγας ci-dessus montre que ce mot, employé au féminin dans Jean 7.37 et 19.31, n’inclut dans son champ sémantique l’idée de pluralité mathématique, contrairement à πολύς, beaucoup de, nombreux, abondant, fréquent, qui se répète, qui s'étend beaucoup, employé par exemple dans Matthieu 2.18 ; 5.12 ; 13.2 ; Marc 12.27 ; 2 Corinthiens 3.12 ; Philémon 1.7 ; Apocalypse 7.9. Donc, dans Jean 19.31, le fait que le sabbat soit qualifié de grand par l’adjectif μεγάλη, et non πολύς, semble exclure l’idée qu’il y ait plusieurs sabbats en rapport avec la crucifixion et la fête des pains sans levains. Le jour de sabbat qui suit cette « préparation » semble bien, une fois de plus, le sabbat hebdomadaire, l’unique sabbat de la création.

Autres exemples d’utilisation de μεγάλη dans le NT :

Il enverra ses anges avec la trompette retentissante. Matthieu 24.31

Après avoir dit cela, il cria d’une voix forte : Lazare, sors ! Jean 11.43

Vers trois heures, Jésus cria d’une voix forte : - Éli, Éli, lama sabachthani ? ce qui signifie : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? Marc 15.34

Simon lui-même crut, et, après avoir été baptisé, il ne quittait plus Philippe, et il voyait avec étonnement les miracles et les grands prodiges qui s'opéraient. Actes 8.13

Ce mystère est grand; je dis cela par rapport à Christ et à l'Église. Éphésiens 5.32

Il disait d'une voix forte: Craignez Dieu, et donnez-lui gloire, car l'heure de son jugement est venue. Apocalypse 14.7

Voir toutes les occurrences ici.

La préparation (παρασκευὴ), mentionnée par Jean (19.31) et par Luc (23.54) le jour de la crucifixion, ne peut pas désigner la préparation de la pâque, puisque cette dernière a déjà été préparée et mangée la veille de la crucifixion, notamment par Jésus et ses disciples (Luc 23.7-9). Le texte de Luc 23 est très clair : la veille de la crucifixion, Jésus a fait préparer la pâque et l’a mangée. Le lendemain était le jour de la préparation et le sabbat allait commencer (Luc 23.54) : cela ne peut donc être qu’un vendredi. Ce « grand jour » de sabbat, mentionné dans Jean 19.31, précédé d’une préparation, est donc bien le sabbat hebdomadaire de la création, tombant dans la semaine de la fête des pains sans levains.

Les jours chômés de la semaine des pains sans levain ne sont pas réellement des jours de sabbat au sens du sabbat hebdomadaire, jour anniversaire de la création. Dans Exode 12, le passage fondateur de la pâque israélite, cette différence apparaît déjà en filigrane, au verset 16 :

Le premier jour [des sept jours de la fête des pains sans levain], vous aurez une sainte convocation ; et le septième jour, vous aurez une sainte convocation. On ne fera aucun travail ces jours-là ; vous pourrez seulement préparer la nourriture de chaque personne. Exode 12.16

On peut préparer de la nourriture du jour, ces jours-là, malgré la « sainte convocation ». Cette permission n’était pas prévue pendant le sabbat hebdomadaire, comme en témoigne le récit de la manne, récit fondateur pour le peuple hébreu (Exode 16.23). Pendant le sabbat, aucun ouvrage n’était prévu : le chômage devait être total. Cette particularité propre au sabbat ne se retrouve qu’au jour des expiations, le 10e jour du septième mois. À méditer, si nous croyons encore être au jour universel des expiations depuis 1844*.

* En fait, le processus global de lexpiation débute à la croix : voir une explication complète de l’expiation, de la croix à 1844 et au-delà dans l’étude magistrale du professeur Marcel Fernandez sur Daniel 8 à 10, téléchargeable ici.

Aucun ouvrage, même pas préparer un repas. Cette distinction mineure entre le sabbat hebdomadaire et les jours fériés israélites est révélatrice du caractère unique du jour de repos institué à la Création. Il s’agit, dans le repos hebdomadaire du sabbat, de se reposer entièrement sur les œuvres de Dieu, comme Adam et Ève, qui ont passé leur premier sabbat à simplement se régaler de toutes les bonnes choses que YAHVEH avait préparées pour eux dans le jardin d’Éden. Si seulement ils étaient toujours restés dans cet état d’esprit ! Le sabbat est la marque typique du salut par la foi. C’est pourquoi, dans toute la Bible, le sabbat hebdomadaire est clairement saint, à part, consacré à un usage spécial, ou plutôt à une rencontre spéciale. Il est toujours bien distinct des autres jours de la semaine ordinaire et des jours fériés, comme la pâque, la pentecôte ou même le Kippour. C’est pourquoi nous pouvons affirmer qu'Abraham, «le père de la foi» et de la justification par la foi, selon l'apôtre Paul, observait le sabbat de la Création.

Décidément, les jours fériés juifs ne jouent pas dans la même cour que le sabbat hebdomadaire de la Création. Le pluriel, σαββάτων, employé dans Matthieu 28.1 et les passages parallèles ne désigne donc pas les deux jours chômés inclus dans la semaine de la fête des pains sans levains, mais la semaine au sens le plus général du terme.

 

Pour voir toutes les occurrences de σαββάτων dans le NT : http://saintebible.com/greek/sabbato_n_4521.htm.

 

Essai de traduction de Matthieu 28.1

Rappel du texte original :

Ὀψὲ δὲ σαββάτων τῇ ἐπιφωσκούσῃ εἰς μίαν σαββάτων

Si l’on traduit σαββάτων par semaine, cela pourrait donner :

Or, après la fin de la semaine*, à l’aube du premier [jour] de la semaine, Marie de Magdala et l'autre Marie allèrent voir le tombeau.

* ou la fin du sabbat, qui coïncide avec la fin de la semaine hébraïque

Maintenant si l’on veut garder le vocable « sabbat », cela peut donner :

Or, après la fin du sabbat, à l’aube du jour numéro un par rapport aux sabbats, Marie de Magdala et l'autre Marie allèrent voir le tombeau.

Voilà c’était beaucoup gloser pour pas grand-chose ! À bientôt, nous, l’espérons pour des articles plus édifiants et spirituels. Que Christ et Christ crucifié soit notre priorité en ces temps troubles !

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