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Daniel : une lumière à Babylone

La parabole de l’homme riche et du pauvre Lazare : éléments d’analyse

20 Mars 2018 , Rédigé par Misha Publié dans #Textes commentés, #Immortalité

1. Il s’agit d’une parabole (Luc 16.19-31).

Nous sommes dans un récit imagé et symbolique. Certes il reprend des éléments populaires bien connus de l’époque et capte ainsi l’attention des auditeurs. Mais, en même temps, il donne à ces croyances populaires un sens autre et en tire un enseignement imprévu. Cela est typique de la pédagogie de Jésus. Et quel est cet enseignement ?

Abraham répondit : Ils ont Moïse et les Prophètes ; qu’ils les écoutent !

L’autre reprit : Non, Abraham, mon père, mais si quelqu’un de chez les morts va vers eux, ils changeront radicalement.

Abraham lui dit : S’ils n’écoutent pas Moïse et les Prophètes, ils ne se laisseront pas persuader, même si quelqu’un se relevait d’entre les morts. Luc 16.29-31, NBS.

Autrement dit, il ne servirait à rien d’entrer en contact avec les morts, même si c’était possible, même si c’était autorisé par la Torah. Nous n’avons pas besoin de l’aide des défunts : la Bible seule suffit à expliquer toutes les conditions du salut et de la vie après la mort. Or sur le sujet de la vie après la mort justement, Moïse et les Prophètes (et les autres écrits, les Psaumes et le livre de l’Ecclésiaste notamment) sont très clairs : il n’y a aucune survie de l’âme ou de l’esprit humain après le décès. Seule une résurrection, un acte créateur, peut ramener un être humain à l’existence.

 

2. L’homme riche est anonyme, tandis que le pauvre a un nom, Lazare.

Ce « pauvre » se lit en grec πτωχός, qui signifie en réalité mendiant, clochard, SDF. Le terme est mentionné 34 fois dans le NT et c’est presque le seul terme employé pour parler des pauvres. En grec, cependant, il existe d’autres mots que πτωχός pour désigner une personne avec peu ou pas de ressources : πένης (2 Corinthiens 9.9, citation de Psaume 112.9), πενιχρός (Luc 21.2, pour parler de la pauvre veuve ; mais πτωχός en 21.3), ἀπορος (inusité dans la Bible)… Le mot « pauvre », partout présent dans nos Nouveaux Testaments, est donc une traduction châtiée de πτωχός. Nous l’avons adoptée par commodité dans la suite de cette analyse. En tous cas, il est remarquable que l’identité de ce « clodo » est bien reconnue dans le Ciel, tandis que celle du riche, qui ne vit que pour lui-même, a peu ou pas de poids dans les livres célestes.

 

3. Tous les deux, le riche et le pauvre, meurent (verbe ἀποθνήσκω, v. 22).

C’est le sort habituel des hommes depuis la chute d’Adam et Ève, même s’il y a eu des exceptions (Hénoch et Élie notamment). Cependant, ici, la conjugaison n’est pas exactement la même pour parler de leurs morts respectives : pour le riche, Luc emploie l’aoriste de l’indicatif, 3e personne du singulier (ἀπέθανεν, il mourut), tandis que pour le pauvre il emploie l’aoriste de l’infinitif (ἀποθανεῖν, mourir), au moyen d’une tournure hébraïsante, ἐγένετο δὲ ἀποθανεῖν τὸν πτωχὸν, mot-à-mot : or il advint [que] mourir ce pauvre. Or l’infinitif ne permet pas de situer l’action dans le temps, surtout pas à l’aoriste. Bien sûr, dans le cadre du récit, la mort du pauvre doit être située dans le temps, mais elle l’est indirectement, par le verbe γίνομαι, qui lui est bien à l’aoriste moyen de l’indicatif, 3e pers. du sing : ἐγένετο, il devint ou il advint (que). Cette nuance a été rendue par plusieurs traducteurs grâce à l’ajout de la formule « il arriva que », absente dans les versions Segond 1910 et ultérieures, mais présente chez Ostervald, Jérusalem, Darby, Martin et Crampon :

« Or, il arriva que le pauvre mourut, et il fut porté par les anges dans le sein d'Abraham; le riche mourut aussi, et fut enseveli. » Luc 16.22, Ostervald.

Cette différence de formulation entre la mort du riche et celle du pauvre peut paraître insignifiante. Pourtant elle devient moins anodine quand on considère le verbe suivant du verset 22, qui nous indique :

 

4. Le sort du pauvre après sa mort.

« Or, il arriva que le pauvre mourut, et il fut porté par les anges dans le sein d'Abraham. » (Ostervald).

Or, là, surprise dans le texte grec, le verbe porter n’est pas à l’indicatif mais lui aussi à l’infinitif aoriste, comme le verbe mourir. De plus, contrairement au verbe mourir, il n’est pas accompagné d’un auxiliaire quelconque, comme γίνομαι, qui permettrait de situer l’action dans le temps. Il est tout seul, à l’infinitif passif : ἀπενεχθῆναι, être porté, être emporté, être emmené (verbe ἀποφέρω). Du coup la première moitié du verset 22 se lit ainsi :

ἐγένετο δὲ ἀποθανεῖν τὸν πτωχὸν καὶ ἀπενεχθῆναι αὐτὸν ὑπὸ τῶν ἀγγέλων…

or il advint [que] mourir ce pauvre puis être emporté, lui, par les anges

Retranscrite du grec vers l’hébreu, cette première phrase du verset 22 aurait une syntaxe tout à fait correcte. En effet, la conjugaison hébraïque ne s’attache pas tellement au temps de l’action mais plutôt au mode de l’action et d’abord au sens de la racine employée. Ici le mode, grec, choisi par Luc est l’infinitif aoriste. Dans ces conditions, cette ascension du pauvre vers le Ciel, ne peut être située dans le temps avec certitude ; elle ne coïncide donc pas forcément avec son décès. Dans la vraie vie, en dehors du cadre de la parabole, cette ascension ne peut avoir lieu, bibliquement, qu’au retour de Jésus à la fin des temps. Luc et Jésus ne sont donc pas forcément en désaccord avec l’enseignement de Paul (et de l’AT) sur l’état des morts et sur la résurrection.

Ce pauvre meurt puis il est emmené au Ciel. En effet le mot grec καὶ (et, aussi, même) correspond en hébreu à la lettre waw (וְ) qui signifie aussi bien puis que et, surtout placée devant un verbe comme ce serait le cas ici si le texte était écrit en hébreu. Le délai écoulé entre les deux actions, la mort puis l’ascension, n’est donc pas possible à préciser, surtout que le verbe n’est pas conjugué mais à l’infinitif. La pensée hébraïque est synthétique et passe facilement, par analogie, d’un période de temps à une autre, comme on peut le constater dans les textes de l’AT : retours en arrière ou sauts dans le futur « inopinés » (pour nous) par exemple.

On remarque, dans le texte original, que le pauvre est emporté ὑπὸ τῶν ἀγγέλων, c’est-à-dire non pas exactement « par les anges » mais « sous les anges », c’est-à-dire à la suite des anges ou sous l’effet des anges, selon le sens de ὑπὸ suivi du génitif. Nous avons là la représentation picturale d’une ascension glorieuse et spectaculaire, en compagnie des armées célestes, accompagnée de la transformation dont parle Paul dans 1 Corinthiens 15.51-53. Mais quand cette ascension glorieuse a-t-elle lieu ? Aurait-elle lieu immédiatement après le décès, et non au retour en gloire de Jésus comme dans l’enseignement de Paul ? C’est ce que l’infinitif aoriste du verbe emporter (ἀποφέρω) ne permet pas d’affirmer justement.

5. Penchons-nous maintenant sur le sort du riche après sa mort.

La formulation et la conjugaison sont au début complètement différentes :

ἀπέθανεν δὲ καὶ ὁ πλούσιος καὶ ἐτάφη. Luc 16.22b.

Or il mourut aussi, le riche, et (ou puis) il fut inhumé.

Cette fois les verbes au lieu d’être à l’aoriste de l’infinitif sont à l’aoriste de l’indicatif, 3e pers. du sing. : nous sommes bien grammaticalement dans un récit linéaire, sans rupture particulière. Il meurt et aussitôt ou quelques jours après il est inhumé : pas de surprise, la fin de vie « normale » quoi ! Il est maintenant mort et enterré, muet et placé dans le monde du silence (Psaumes 94.17, 115.17) comme presque tous les défunts depuis Abel jusqu’à nos jours. Ce sont des « âmes mortes » en quelque sorte, inconscientes (Ecclésiaste 9.10). Elles « dorment », pour le dire dans le langage hébraïque de Paul et de Pierre : elles restent plongées dans un « coma » profond (κοιμάω : 1 Thessaloniciens 4.15 ; 2 Pierre 3.4).

Mais que va-t-il se passer lorsqu’elles vont reprendre conscience, à la seconde résurrection, à la fin des mille ans (Apocalypse 20.9) ? Que va-t-il se passer pour ces âmes définitivement perdues lorsque, montant de la poussière de la mort et de l’inconscience, grâce à une résurrection, elles vont de nouveau rouvrir les yeux ? « Un feu descend du ciel, et les dévore. » Apocalypse 20.9, Chouraqui.

En poursuivant ce conte symbolique du pauvre Lazare et du riche, Jésus, fidèle à sa pédagogie, tient compte de certaines croyances de son époque concernant une « vie » qui persisterait dans le séjour des morts, même si c’est absurde. Mais, au travers de cette « légende infernale » colorée, il évoque en même temps la dernière et redoutable phase du jugement dernier, où les révoltés reviennent à la vie pour entendre et entériner leur condamnation à la mort éternelle, avant d’être «  dévorés » par le feu dont on ne peut plus ressusciter. La compréhension du verset suivant est donc déterminante :

καὶ ἐν τῷ ᾅδῃ ἐπάρας τοὺς ὀφθαλμοὺς αὐτοῦ… Luc 16.23

Puis, dans le séjour des morts, élevant ses yeux

Surprise ! Le récit de la mort du riche, qui avait bien commencé au verset 22 avec l’aoriste de l’indicatif (il mourut, il fut inhumé), est rompu ici par l’aoriste du participe du verbe ἐπαίρω, qui signifie en grec élever, déployer, enfler. Or le participe aoriste ne permet pas de situer l’action dans le temps. Le riche élève ses yeux à un moment indéterminé, pas forcément juste après son décès. Il n’y a pas forcément de continuité temporelle entre le décès et l’inhumation d’une part et le moment où il élève ses yeux d’autre part. Bibliquement, ce moment ne peut que correspondre à une résurrection, sinon il serait toujours mort, inconscient, et garderait les yeux fermés, tandis qu’ici, ébloui par la gloire de la Nouvelle Jérusalem et des rachetés, il ouvre de grands yeux (ἐπαίρω, enfler) à son réveil.

Le verbe ἐπαίρω, élever, déployer, enfler, est construit sur le radical αἴρω, qui signifie principalement lever, soulever. ἐπαίρω signifie élever comme on arbore un drapeau où comme on élève la voix et il traduit le verbe hébreuנָשָׂא  qui signifie élever au sens de soulever, porter, emporter. Le riche soulève donc ses paupières, à un moment indéterminé dans le temps après son décès (participe aoriste). A ce moment, il se réveille (provisoirement) du sommeil de la mort, il est littéralement « ré-animé » ; mais Dieu lui laisse le soin d’ouvrir lui-même ses yeux ! Donc le riche « lève les yeux », logique.

ἐπαίρω τοὺς ὀφθαλμοὺς, élever, soulever les yeux, est la formule la plus usitée dans le NT pour dire lever les yeux, c’est-à-dire ouvrir l’œil, considérer, devenir attentif. Dans le cas du riche, elle s’applique au sens propre (il ouvre les yeux à sa résurrection) et au sens figuré. D’inconscient qu’il était, spirituellement pendant sa vie puis physiquement après son décès, il redevient vigilant en ressuscitant : il reprend le cours de ses pensées interrompues par la mort et s’inquiète donc à juste titre du sort qui l’attend !

ἐπαίρω τοὺς ὀφθαλμοὺς, souvent traduit en français par lever les yeux, est la traduction grecque mot-à-mot d’une expression hébraïque formée avec le verbeנָשָׂא  (élever, soulever, porter) et rencontrée par exemple dans Genèse 13.10 :

Lot leva ses yeux (וַיִּשָּׂא־לוֹט אֶת־עֵינָיו) et il vit (וַיַּרְא) toute la plaine du Jourdain

Remarquons la régularité de la conjugaison dans le récit de Lot. Deux inaccomplis précédés de waw assurent au récit une continuité temporelle parfaite : וַיִּשָּׂא puis (ou et) il leva (les yeux), וַיַּרְא puis il vit. Pas de participe, pas de verbe à l’infinitif non plus ici.

De même, dans notre passage, puis dans le séjour des morts élevant les yeux, on s’attendrait pour la continuité du récit à rencontrer l’aoriste de l’indicatif : il leva les yeux, comme dans Jean 11.41 : Jésus leva (ἦρεν*) les yeux en haut, et dit : Père, je te rends grâces de ce que tu m'as exaucé. Cela nous aurait paru logique : le riche meurt, il est enterré, il se retrouve en enfer et il lève les yeux pour voir ce qui s’y passe. Mais non, nous trouvons à la place un participe aoriste : ἐπάρας, élevant, soulevant, donc ouvrant les yeux, cette action ayant lieu après un temps indéterminé. Ainsi la grammaire suggère ce que la parabole ne dit pas explicitement, nous allons le vérifier à nouveau dans la suite du verset.

* aoriste de l’indicatif de αἴρω, 3e pers. du singulier.

Le séjour des morts, dans le lequel le riche est plongé après sa mort, prend dans la Bible un sens plus global que dans la culture occidentale grecque dont nous avons héritée, analytique et dissociative. Il est remarquable d’ailleurs que le pauvre, après son décès, n’est pas représenté comme étant au séjour des morts, alors qu’il a bien dû être inhumé également, comme le riche, sans doute dans une fosse commune. Après son décès, le pauvre est bien, physiquement, dans le « séjour des morts », mais, spirituellement, il est promis à la vie éternelle. En attendant ce jour glorieux où il intégrera le sein d’Abraham, il dort du sommeil du juste ! Au contraire le riche, même après sa résurrection à la fin des mille ans, reste prisonnier du « séjour des morts », sur le plan spirituel, et est voué à la condamnation à mort, sur le plan physique, d’où l’expression ἐν τῷ ᾅδῃ, dans le séjour des morts, la suite du verset va nous le confirmer.

 

À présent, si nous reprenons la lecture du verset 23, cela donne :

καὶ ἐν τῷ ᾅδῃ ἐπάρας τοὺς ὀφθαλμοὺς αὐτοῦ

Puis, dans le séjour des morts, ouvrant les yeux,

ὑπάρχων ἐν βασάνοις, ὁρᾷ Ἀβραὰμ ἀπὸ μακρόθεν… Luc 16.23.

prêt à être livré aux « tourments », il voit Abraham de loin

Tout d’abord, penchons-nous un peu sur ces fameux « tourments » (grec βάσανος), supposés indiquer que l’âme du riche est immortelle et qu’il se trouve dans un enfer éternel. βάσανος, dont vient notre mot « basané », désigne une pierre de couleur noirâtre qui servait de pierre de touche (c’est le premier sens de βάσανος) servant à éprouver le minerai que l’on venait d’extraire, afin de savoir s’il s’agissait bien d’or. De fait, βάσανος, au figuré, signifie examen, vérification, preuve, épreuve et, par extension, tourment, douleur cruelle. Cependant ces deux aspects du mot βάσανος sont inclus dans le jugement divin : d’abord une vérification et une mise à l’épreuve, ensuite, pour les réprouvés, le tourment de la condamnation éternelle et la douleur de la mort. En soumettant les réprouvés à l’épreuve du feu, Dieu les laissera éprouver la douleur de leur culpabilité, qu’ils devront porter seuls, ayant refusé que le Fils de Dieu la porte à leur place, à Gethsémané et à Golgotha. Si Dieu lui-même, en la personne de son Fils, a dû éprouver l’angoisse de la mort éternelle et que son Fils en est bel et bien décédé, en « poussant un grand cri » (Marc 15.37), à combien plus forte raison cette angoisse, ce feu intérieur, aura raison de l’âme des réprouvés. Ils finiront pas mourir et seront anéantis par le feu « qui ne s’éteint pas » (Luc 3.17 et par.), c’est-à-dire le feu dont on ne peut plus être sauvé. Le riche ne peut plus être soustrait au feu destructeur qui va bientôt l’anéantir parce qu’il a refusé d’en être délivré pendant le temps de grâce, pendant que le Sauveur était encore avec lui dans ce feu, comme il l’a été physiquement avec les trois compagnons de Daniel : Voir Daniel 3 (vidéo).

D’autre part, ὑπάρχων ἐν βασάνοις, souvent compris à tort par « étant dans les tourments » ou pire par « en proie aux tourments » signifie en réalité appartenant aux tourments ou, étant au pouvoir de l’épreuve, c’est-à-dire convenant au tourment, bon pour l’épreuve du feu (intérieur et extérieur, psychique et physique). En effet, le verbe ὑπάρχω, avec le datif, comme c’est le cas ici (ὑπάρχων ἐν βασάνοις), signifie appartenir, quelquefois convenir, être convenable à, quelquefois être permis, être au pouvoir de. L’adjectif ὑπάρχος qui en dérive signifie sujet à, soumis à, dépendant de.

C’est exactement la situation dans laquelle se réveillent les réprouvés à la fin des mille ans : ils sont convenables pour les flammes, dans lesquelles le riche de la parabole dit souffrir « cruellement » (v. 24), ils sont soumis à l’agonie qui précède la mort définitive puis il sera permis qu’il soient brûlés vifs. Ils vont être anéantis pour toujours parce que le jugement des mille ans est terminé et qu’on ne leur a pas trouvé d’excuses pour avoir péché et refusé le salut qui est en Jésus-Christ. Autrement dit, ils sont soumis à l’épreuve ultime, à l’examen final, selon les sens principaux de βάσανος (le « tourment »), à l’exécution du jugement. Le sens premier de βάσανος, pierre de touche, porte déjà cette aspect judiciaire, comme l’indique le dictionnaire Alexandre.

Remarquons que ὑπάρχω (avec le datif : appartenir) est ici au participe présent, et non au participe aoriste comme l’était précédemment le verbe ἐπαίρω (élever). Le riche a élevé, déployé ses yeux. À présent qu’il a rouvert les yeux, qu’il est sorti temporairement de la mort, Luc décrit avec ce participe présent une nouvelle situation : le riche commence à affronter la culpabilité de ses péchés, il est au pouvoir de l’épreuve (ὑπάρχων ἐν βασάνοις), bientôt il sera au pouvoir d’un feu destructeur. Notre riche est donc prêt à être jugé, prêt à entendre la sentence de sa condamnation à mort. Comme réveil on fait mieux, certes ; personne ne serait pressé d’ouvrir les yeux (ἐπαίρω τοὺς ὀφθαλμοὺς) sur une telle réalité.

Dans ce nouveau cadre, l’action principale, la suite du récit parabolique, ne commence qu’avec le verbe voir (ὁράω), le seul verbe conjugué du verset 23. Le verbe voir est cette fois au présent de l’indicatif (ὁρᾷ, il voit Abraham) et non à l’aoriste de l’indicatif comme au verset 22 (il mourut, il fut inhumé), nouvelle indication concernant le changement de cadre temporel entre le verset 22 et le verset 23. Plus de doute, le décès et le jugement dernier appartiennent à deux époques différentes, même dans cette parabole ! Merveilleuse cohérence de la Bible.

Comment d’ailleurs ce riche pourrait-il voir Abraham, alors que, au moment où Jésus raconte cette parabole, ce dernier est décédé depuis longtemps, retourné à l’état de poussière, et qu’il n’a pas encore ressuscité (contrairement à Moïse) ? La seule explication plausible et biblique est que cette vision d’Abraham par le riche se situe à la fois après la première résurrection des justes qui a lieu au retour de Jésus, pour qu’Abraham soit ressuscité à coup sûr, et après les mille ans de l’Apocalypse, pour que le riche lui-même soit ressuscité (cf. Apocalypse 20.5). L’Apocalypse confirme cette possibilité pour les réprouvés fraîchement ressuscités, mais toujours au pouvoir de la mort (ὑπάρχων ἐν βασάνοις), de contempler la ville sainte et les saints ressuscités :

Et ils montèrent sur la surface de la terre*, et ils investirent le camp des saints et la ville bien-aimée. Mais un feu descendit du ciel, et les dévora. Apocalypse 20.9.

* Grec : ἐπὶ τὸ πλάτος τῆς γῆς. Est-ce à dire que précédemment ils étaient sous la surface de la terre ? Bien sûr, puisqu’ils étaient morts ! Passer du sous-sol, de la poussière, à la surface de la terre, c’est ressusciter !

Dans cette parabole, comme dans une pièce de théâtre, le jugement final est figuré dans le séjour des morts, ἐν τῷ ᾅδῃ, parce que, comme les autres réprouvés, le riche a repoussé le salut : il n’est donc pas passé « de la mort à la vie » (Jean 5.24). Sa résurrection n’est que temporaire, en réalité il n’a jamais vraiment quitté le domaine de la mort : ils appartient (ὑπάρχω) à la mort et aux flammes (cf. 16.24). Ils ne ressuscite que pour récupérer sa culpabilité et en mourir, mort atroce que l’agonie de Jésus, de Gethsémané à Golgotha, aurait pu lui éviter en toute légalité si seulement il l’avait acceptée avec reconnaissance, comme l’a fait Abraham : « Dieu se pourvoira lui-même de l’agneau pour l’holocauste » (Genèse 22.8). Ça, c’est la foi qui sauve ! Car Dieu, en Jésus-Christ, est déjà passé par le feu éternel, avant nous. Mais voyons comment continue l’aventure infernale de notre riche :

Il voit Abraham, de loin, et Lazare dans son sein. Luc 16.23b.

ὁρᾷ Ἀβραὰμ ἀπὸ μακρόθεν καὶ Λάζαρον ἐν τοῖς κόλποις αὐτοῦ.

Il est logique, dans ce récit symbolique, que le pauvre Lazare soit représenté dans le sein d’Abraham, car Abraham est considéré comme « le père de la foi » (cf. Romains 4) ; son nom apparaît plus de 70 fois dans le NT (80 fois pour le nom de Moïse). Or le salut, la délivrance du feu qui détruit pour toujours, ne s’obtient que par la foi en les mérites du Christ : nous ne pouvons rien y ajouter ni rien en retrancher.

Le riche voit Lazare et Abraham « de loin ». Cette précision est assez réaliste, car la nouvelle Jérusalem, encerclée par les réprouvés et les anges rebelles en Apocalypse 20, est décrite au chapitre suivant comme un carré mesurant 12 000 stades de côtés (21.16), soit peut-être plus de 2 000 km ! Donc quand le riche a cette vision de Lazare et d’Abraham dans la nouvelle Jérusalem, il les voit « de loin », effectivement. Cette vision grandiose des rachetés dans la félicité, par les réprouvés qui entourent la cité, est décrite en détails par Ellen White dans ses visions prophétiques du jugement final : voir L’histoire de la Rédemption, chapitres 64 et 65 ; La tragédie des siècles, chapitre 42. Mais comment, dans la parabole, notre riche réagit-il à cette vision sublime ?

Alors il s’écria : Père Abraham, aie pitié de moi et envoie Lazare tremper dans l’eau le bout de son doigt pour me rafraîchir la langue, car je suis tourmenté dans cette flamme. Luc 16.24, NBS.

Je suis tourmenté correspond au grec ὀδυνῶμαι, présent de l’indicatif passif du verbe ὀδυνάω qui signifie, à la voix active, causer de la douleur, faire souffrir. Le présent de l’indicatif est employé comme pour le verbe ὁράω au verset précédent (il voit Abraham). Il voit la félicité des rachetés et il est tourmenté, car il comprend ce qu’il a perdu par son mépris de l’amour de Dieu. Du coup, il récupère toute sa culpabilité, telle qu’il ne l’a jamais éprouvée, et commence à goûter au désespoir qui précède la mort éternelle. Cette souffrance morale le brûle déjà comme un feu intérieur, à l’instar du poids des péchés du monde qui faisait dire au Messie souffrant : « mon cœur est comme de la cire, il fond au milieu de mes entrailles. » (Psaume 22.14, NBS). Cette « flamme » redoutable va aller en s’intensifiant à l’intérieur du riche jusqu’à ce que Dieu, miséricordieusement, vienne mettre un terme à ses justes souffrances au moyen du feu destructeur, des flammes physiques (Apocalypse 20.9*).

* Le verset suivant, Apocalypse 20.10, suggère que le diable et ses acolytes souffriront plus longtemps que les réprouvés « ordinaires », comme de juste !

Le riche « brûle » moralement avant de brûler physiquement. Il réclame de l’eau pour se rafraîchir. C’est une parabole, mais, dans la réalité, dans la vraie vie, l’eau de la vie, l’eau des paroles du Christ, l’eau du baptême, l’eau de la mort et de la résurrection en Christ, aurait pu changer la vie intérieure et extérieure du riche, de son vivant, et lui éviter ainsi ce sort terrible. Mais il n’a pas voulu, aussi il lui arrive ce que prévoyait déjà le prophète Obadiah (Abdias) : « Comme tu as fait il te sera fait, tes œuvres retomberont sur ta tête. » (Abdias 15) Le texte hébreu le dit ainsi : גְּמֻלְךָ יָשׁוּב בְּרֹאשֶׁךָ , soit, mot à mot, ta rétribution (ou ta récompense) reviendra dans ta tête. Terrible tourment que le Christ a commencé à ressentir dès Gethsémané, dès le jeudi soir de la Passion : c’est pourquoi il avait annoncé qu’il resterait trois jours et trois nuits dans le sein de la terre, c’est-à-dire dans le séjour des morts, là précisément où se trouve toujours le riche de la parabole à la fin des mille ans.

Au passif, le verbe ὀδυνάω, traduit par je suis tourmenté en Luc 16.24, signifie éprouver de la douleur, physique ou morale, être affligé, s affliger. Il est intéressant que le radical d’où vient ce verbe, le substantif ὀδυνη signifie quelquefois en grec classique regret et même ressentiment. Les réprouvés ont résisté à l’amour de Dieu, ils n’ont pas été guéris par Jésus des mensonges de Satan : ils ont gardé du ressentiment contre la divinité. Le même verbe ὀδυνάω au même temps, présent de l’indicatif passif, est repris dans la réponse d’Abraham au verset suivant :

« Mon enfant, souviens-toi que tu as reçu ton bien durant ta vie et qu’au lieu de cela Lazare, lui, a eu le mal ; maintenant, ici, il est consolé, tandis que toi tu souffres (ὀδυνᾶσαι). » Luc 16.25, NBS.

Il ne faut pas en déduire qu’il soit nécessaire de souffrir beaucoup dans cette vie pour gagner la vie éternelle ! D’abord la vie éternelle ne se gagne pas, c’est un cadeau, qui s’apprécie. Ensuite, si nous nous contentons de jouir des biens présents, sans « passer à un niveau de joie supérieur* », sans goûter dès maintenant la joie du Ciel, il est probable que nous ne serons pas aptes à entrer au Ciel, ni vraiment désireux d’y entrer.

* L’expression est de Julius Brown. Voir «Les 7 niveaux de joie dans le livre de l’Ecclésiaste», série de conférences donnée il y a quelques années (p. 9 du catalogue Au cœur du cosmos).

 

Enfin, par rapport aux tourments du riche de la parabole de Luc 16, on observe que le verbe grec ὀδυνάω est utilisé aussi dans la traduction de l’AT en grec (LXX), où il traduit deux termes hébreux :

החִיל, qui vient de la racine חוּל (chūl), tordre, danser, tourner sur soi, se tordre (de douleur, d’angoisse) ; cette racine évoque aussi la naissance, les douleurs de l’accouchement. Elle existe aussi en assyrien (hîlu), où cette torsion est plutôt associée à la peur.

Ce premier terme est employé notamment dans Zacharie 9.5, dans le cadre d’une prophétie sur Tyr et d’autres villes côtières ainsi que sur le pays des Philistins : « Askalon le verra, et elle sera dans la crainte; Gaza aussi, et un violent tremblement la saisira. » LXX : ὀδυνηθήσεται σφόδρα. Voir d’autres versions ici. Cette prophétie annonce le jugement dernier, quand toutes les puissances du mal, angéliques et humaines, sont amenées à reconnaître la justice de la sentence qui les frappe. Cette sentence est bien un anéantissement, comme le verset précédent l’indique avec force : « Voici, le Seigneur s'en emparera, Il précipitera sa puissance dans la mer et elle [Tyr] sera consumée par le feu. » (Zacharie 9.4). À rapprocher de la sentence sur le roi de Tyr (symbolisant Satan) dans Ézéchiel 28.12-19.

הָמֵר (hamer), qui vient de la racine מָרַר (mārar), être ou devenir amer. En araméen, cette racine signifie se faire de la bile.

Ce second terme est employé notamment dans Zacharie 12.10 : « Alors je répandrai sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem un souffle de grâce et de supplication, et ils tourneront les regards vers moi — celui qu’ils ont transpercé. Ils se lamenteront sur lui comme on se lamente sur un fils unique, ils pleureront amèrement sur lui (וְהָמֵר עָלָיו), aussi amèrement (כְּהָמֵר) que sur un premier-né. » LXX : ὀδυνηθήσονται ὀδύνην. Nous citons la Nouvelle Bible Segond : dans la version Segond 1910, la répétition du mot הָמֵר (amer) n’apparaît pas. Voir d’autres versions ici.

C’est maintenant qu’il nous faut « pleurer amèrement » sur le Fils unique, c’est maintenant qu’il faut nous inquiéter de la souffrance de Jésus-Christ, de la souffrance de Dieu, dont l’amour est renié par Lucifer dans le conflit cosmique. Arrivé au stade du riche de la parabole, à la seconde résurrection, il est trop tard, on ne peut plus que pleurer amèrement sur soi-même, mais cela n’a jamais servi à rien, c’est bien connu !

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S
merci beaucoup pour cette explication détaillée de la parabole de riche et de pauvre Lazare. Merci bcp que Dieu vous bénisse abondamment!!
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M
Un grand merci pour votre appréciation qui nous va droit au coeur ! Que Jésus-Christ vous remplisse de son fidèle compagnon, le Saint-Esprit !
S
merci beaucoup! j'ai aimé l'explication en détail de cette parabole, que Dieu vous bénisse abondamment.
Répondre